«Analyse BEIJING 2008»   par Christian Raynaud

JOURNAL

 

 

                                      Les jeux Olympiques de Beijing 2008 à peine terminés, les bilans fusent de partout.
Certes,
la Belgique est peu primée ; il est donc de bon ton d’accuser à tort et à travers et dans la confusion des valeurs.
Le plus navrant étant l’identité de comportement entre les dirigeants (sportifs comme politiques) et les journalistes : seules comptent les médailles !
Si les seconds ne trouvent aucun intérêt à tartiner sur la huitième ou douzième place, c’est parfaitement anormal de la part des premiers. En effet, tout sportif qui s’est confronté à la recherche de performances sait combien il est honorable de figurer dans le top 8. Les seuls qui l’aient dit clairement sur une chaîne TV à l’issue des JO sont Jean-François LAMOUR, ancien ministre des sports français, lui-même double médaillé olympique, et notre Robert Van De Walle (l’Or à Moscou 80) !
Après ces généralités constatées dans toutes les disciplines, nous allons maintenant restreindre le propos au TIR avec, espérons-le, plus de pertinence.

Chaque athlète de haut niveau mais aussi tout qui a suivi de près la vie de ces sportifs (entraîneurs, famille, etc.) sait que la contre-performance guette les meilleurs et qu’il ne faut pas pour autant les vouer aux gémonies.
Prenons quelques exemples (tous les résultats et graphiques statistiques sont téléchargeables au format pdf):

ARifle W : Lidija MIHAJLOVIC, 20ème avec 394, elle était championne d’Europe à Winterthur cette année avec 399.

APistol M : notre voisin Frank DUMOULIN, pourtant vainqueur à Sydney, est  34ème avec 576 !

Prone 50m M : Classé 1er mondial par l’ISSF, Sergei MARTYNOV  termine les JO à la 8ème place avec 595.

Free Pistol : Mikhail NESTRUEV, 6ème mondial avec 573, est classé 23ème avec 552.

3x40M : Matthew EMMONS, grand favori, lâche un 4,4 en finale et obtient la plus mauvaise place, la 4ème !

Rajmond DEBEVEC est 3ème avec 1176 tandis qu’il loupe son AirRifle à la 31ème place (589 tout de même, mais sans podium !).

Sport25mW : Jasna SEKARIC, triple médaillée olympique et au palmarès impressionnant, n’obtient que la 31ème place avec 578.

Rapid Fire : Ralf SCHUMAN (46 ans), grandissime favori parce que déjà plusieurs fois médaillé, obtient l’argent et laisse le bronze à son jeune compatriote Christian REITZ (24 ans) sur un avantage de deux dixièmes de points en finale ! Si l’on pense qu’un seul « step » est de 5mm et que le meilleur groupement canon/munition est probablement supérieur à cette différence… on comprend que, depuis 3 ans, Ralf devienne mystique :« Ce qui a changé est ma foi en Dieu (…) C’est Jésus qui fait la différence »(ISSF NEWS 4/2008).
ALIFIRENKO, lui, ne fut même pas choisi par son pays à tirer aux JO ! Or, nous connaissons son palmarès, il est classé 3ème au top ten mondial.
Les autres résultats: ARifleM - APistolW - 3x20W

Nous savons tous que, en sport plus qu’ailleurs, ce sont d’infimes détails qui font la différence. D’une rencontre à l’autre, les écarts ne sont pas toujours explicables à première vue. Restons dans la discipline « Pistolet Rapid Fire », significative par de plus grands écarts de points qu’en « 50 m Rifle Prone ». Le vainqueur est PETRIV, avec 580 p. (rien d’exceptionnel pour un titre olympique), sélectionné avec un MQS de 583. SCHUMAN le suit avec 579 et son MQS était de 590 !

Rappelons brièvement les règles de sélection du couple ISSF/CIO : pour être admis à participer aux JO, il faut avoir obtenu un « quota » (bonne place dans le classement d’une épreuve qualificative) ET réalisé un MQS (Minima Qualification Score) défini par ces instances.

Analysons un instant le tableau de ces MQS qui comportent quelques paradoxes.

En RF, en renouvelant un MQS de 573 vous étiez 10ème aux JO !

Pistolet 25 m Dames : le MQS de 555  vous laisse hors classement (la 41ème fait 558).

Rifle Prone : se gagne avec 599, le MQS de 587 vous place 62/75.

Air Pistol Men : 586 par PANG Wei , le MQS de 563 offre la place 46 sur 47.

Air Rifle Women : 400 pour Katerina EMMONS, le MQS à 375 est hors classement, après la 47ème.

Souhaitons que ces minima requis soient revus à l’avenir. C’est d’ailleurs tout le problème posé par le choix de scores qualificatifs précis : rares sont les références absolues et une compétition n’est pas l’autre. C’est pourquoi nous choisirons, pour l’établissement de notre grille de points de sélection URSTBF, de privilégier la pondération par la moyenne des résultats obtenus.

Les quotas sont attribués selon les résultats des Coupes du Monde (World Cup) et des championnats continentaux. Afin d’augmenter vos chances d’aller aux JO, vivez en Australie et gagnez les championnats  d’Océanie  avec 573/600 (Rapid Fire, Bruce QUICK –le bien nommé-  termine à la 17ème place/19 avec 574).

            En conclusion, une seule évidence : la difficile tâche du sélectionneur est plus aléatoire que de jouer au tiercé !
Cependant, il nous faut préparer la prochaine olympiade qui commence maintenant pour aboutir aux Jeux de Londres 2012.
L’établissement du système de sélections en est la pierre angulaire.

Avant tout, une certitude s’impose : il n’y a pas que « les jeux » dans la vie d’un tireur ! Tous et toutes ne sont pas disposés à consacrer l’essentiel de leur vie, pendant 4 ans et plus, aux espoirs de médailles olympiques ; et ce d’autant moins que l’on sait combien le tir peut rapporter en termes de niveau de vie… Nous sommes, nous, de purs amateurs.
D’un autre côté, les instances politiques dirigeantes du sport et les organisations qui en dépendent (ADEPS) répètent : « des médailles ! ».

La complexité de la direction technique est de laisser subsister ces espoirs, de favoriser l’éclosion de talents sportifs exceptionnels, d’encourager et soutenir ceux et celles qui sont sur la bonne voie… mais de ne pas abandonner les tireurs de compétition simplement heureux dans un niveau international inférieur : ils demeurent des exemples, sont dépositaires d’une somme de connaissances, restent les moteurs de l’émulation dont on a besoin.

On entend souvent dire qu’il nous faut « des jeunes ». C’est évidemment exact mais avec une nuance dans l’échelle du temps :

1/ Imaginons que des réformes fondamentales soient mises en place par la communauté française (sport-études, équipements, installations, détection à l’école, etc.). Un rêve ? Ces mesures ne produiront leurs effets que dans 20 ans.
2/ Travaillons efficacement avec nos cadets, benjamins, minimes, c’est le but des écoles de tir qui fonctionnent de mieux en mieux grâce à un bénévolat généreux. Objectif à 8 ou 12 ans.
3/ Plus près, nous ne pourrons éventuellement conduire à Londres 2012 que des sportifs déjà sur la piste, c'est-à-dire au moins des JUNIORS. Nous prévoyons le calendrier suivant :

2009 et 2010, affiner l’organisation, la détection, les présélections.
2011 et 2012, terminer la recherche des quotas et la préparation.

Pour terminer, je vous invite à consulter l’étude statistique en fonction de l’âge/classement olympique (quelques tableaux en annexes, l’intégralité des statistiques et des résultats se trouve sur www.cybertir.com). Il apparaît clairement que le plus haut niveau EN TIR est atteint – en moyenne- entre 30 et 40 ans.
Le nombre porté au centre des graphiques (tous ici, UN et DEUX) indique l’âge moyen de tous les participants dans la discipline. On peut voir que, selon les disciplines et les sexes (les dames sont généralement plus jeunes), les groupes vont de 27,7 à 39 ans.
La ligne colorée figure la « courbe de tendance ». Par exemple, en « 3x20 W » et « 3x40 M », les plus âgés sont les mieux classés. C’est le contraire en « AP M » ainsi qu’en « RF » (mais là, le vétéran KUZMINS (8 participations olympiques) fausse un peu la courbe avec ses 61 ans ! La courbe la mieux répartie est celle de « ARW », pratiquement horizontale, avec un âge moyen de 28 ans.
Aussi bien les candidats élites supérieures que les responsables d’encadrement doivent garder à l’esprit que le travail est considérable. On estime en effet que l’obtention du niveau « sub-élite » suppose 8h/semaine de travail technique (sur stand), 3h de préparation physique et au moins 2h de préparation du mental.

En équipe de France, on parle de 15h/semaine sur le stand pour un « pro »… Afin de rendre cela possible, le lieu d’entraînement idéal ne devrait jamais être à plus de 50 km (ou ½ heure de trajet) du domicile, accessible toute l’année et par tous les temps (indoor donc).

Quel sera l’horizon 2012 ?

Bien sportivement,

Christian Raynaud
Olympien
Directeur Technique URSTBelgique francophone